Le 8 septembre 2024, Miserey-Salines a célébré avec émotion le 80ème anniversaire de sa libération, rassemblant près de 300 personnes sur l'esplanade du 9 septembre 1944. Cette commémoration a été un moment fort de mémoire collective et de transmission aux nouvelles générations.
Une cérémonie empreinte d'histoire
La journée a débuté par un rassemblement sur le parking de la salle polyvalente, suivi d'un défilé mené par la Fanfare de la Concorde de Saint-Ferjeux. Le cortège, composé d'élus, d'anciens combattants, d'un piquet d'honneur du 6ème régiment du matériel et d'élèves des écoles, s'est dirigé vers le monument aux morts. Une jeep d'époque transportant des citoyens costumés a ajouté une touche d'authenticité historique à l'événement.
Hommages et témoignages poignants
La cérémonie officielle a débuté par des discours d'élus, rendant hommage aux héros de 1944 et rappelant les heures sombres de l'occupation. Un moment particulièrement émouvant a été le chant des Partisans interprété par les enfants des écoles, accompagnés par l'Orchestre d'Harmonie "La Concorde de Saint-Ferjeux".
Les participants ont ensuite été captivés par la lecture de trois témoignages poignants :
- André Estavoyer
- Daniel Faindt
- Albert Hèche
[à lire en fin d'article]
Ces récits, lus par Séverine et Jeanne, petites-filles respectives d'André Estavoyer et Daniel Faindt, ont plongé l'auditoire dans la réalité des journées de septembre 1944, mettant en lumière la résistance de la communauté face à l'ennemi.
Un moment de recueillement et de convivialité
La cérémonie s'est conclue par l'interprétation des hymnes français et américain par la fanfare, symbolisant l'alliance entre les nations pour la restauration de la liberté. Après ce moment solennel, les participants se sont retrouvés à la salle polyvalente pour partager un apéritif convivial.
Un devoir de mémoire perpétué
Cette commémoration du 80ème anniversaire de la libération de Miserey-Salines rappelle l'importance de transmettre l'histoire aux générations futures. "Se souvenir est un acte de résistance, oublier serait une nouvelle défaite".
Pour revivre cet événement inoubliable, les témoignages complets et les photos :
Récit de Daniel FAINDT, 12 ans en 1944
Je me souviens de cette période mais j’aurais dû prendre des notes car la mémoire se sauve.
Mon père était un membre très actif de la résistance et il avait un rôle crucial dans la lutte contre l’occupation allemande. M. MERCET était également très impliqué.
Notre maison située dans le bas du village (rue de l’Ancien Couvent) était le lieu de rassemblement pour les réunions secrètes des résistants.
Je me rappelle que Jean Cornet, officier respecté qui dirigeait le groupe des résistants, était souvent présent. Malheureusement Jean Cornet a été abattu par les Allemands après avoir quitté notre maison, dans les bois entre Vieilley et Cromary.
La vie dans le village était dangereuse. Les Allemands avaient établi leur quartier général non loin de chez nous, rue du Cryot, et les tirs étaient fréquents. Mes grands-parents nous recommandaient de ne pas sortir à cause des coups de feu. Je me souviens que les Allemands, depuis le haut du village, tiraient sur les gens, et nous, les enfants, nous ne réalisions pas vraiment le danger. Nous jouions dehors jusqu’à ce que le grand-père Cupillard nous rappelle à l’ordre et certainement nous sauvait la vie.
Peu de temps avant la libération, les Allemands avaient pris des otages, dont moi, mon père, l’instituteur, le curé et d’autres. Ils cherchaient à savoir qui avait fait dérailler le train qui passait en gare de Miserey direction Vesoul. Nous étions enfermés dans l’école, et il y avait un risque réel d’être fusillés. Ma mère, Germaine FAINDT, très maligne, a réussi à convaincre les soldats de notre innocence et nous avons été libérés.
Dans la maison Cupillard, début de la rue de Besançon, il y avait une laiterie et une fromagerie. Ma mère, en vendant du fromage, du lait ou du beurre aux Allemands, obtenait des informations qu’elle transmettait aux résistants.
Elle a été décorée de la médaille militaire pour son courage et son ingéniosité.
La libération de notre village a été un moment de grande joie. Les résistants ont joué un rôle très important dans cette libération et les Américains sont arrivés par la suite. Je me souviens des cloches de l’église sonnant pour annoncer la nouvelle, un moment de soulagement et de fierté pour tous ceux qui avaient risqué leur vie pour notre liberté.
Le groupe de résistants s’appelait OD.
Cependant, tous ne partageaient pas le même courage. Certains ont collaboré avec les Allemands. Ce n’est pas leur courage qui les a tués.
La trahison était difficile à comprendre pour moi, un jeune garçon qui voyait son père risquer sa vie pour une cause juste.
Malgré cela, la résistance a persévéré et a finalement réussi à libérer le village avant l’arrivée des forces américaines.
Ces souvenirs sont un témoignage de la bravoure et de la détermination des résistants. Mon père et ses camarades ont inspiré non seulement moi, mais aussi toute une génération qui a grandi dans l’ombre de la guerre. Leur mémoire continue de vivre à travers les histoires que nous racontons et les leçons que nous transmettons aux générations futures.
Récit d’Albert Hèche, 18 ans à l’époque
Je travaillais dans la ferme de Louis Estavoyer.
Juste avant la libération, des obus ont été lancés sur Miserey.
Louis m’a envoyé au parc Lavocond voir s'il n’y avait pas des bêtes tuées.
Près de l'intersection de la route vers Geneuille et Miserey, il y avait la maison « Buffet ». Elle était pleine d’allemands. Ils avaient fusillé deux hommes avant mon arrivée.
On m’a demandé mes papiers et dans mon portefeuille il y avait une photo du train qui avait déraillé, photo qui venait d’être développée et distribuée.
J’ai été soupçonné et gardé. Un officier allemand, qui parlait mieux le français que moi, est venu me parler. Puis j’ai été relâché.
A mon retour, j’ai appris qu’un villageois avait été tué dans un champ.
Un des obus avait mis le feu à la maison Briet. Il a été éteint et ensuite on m’a envoyé apporter une lampe à pétrole au secrétaire de mairie pour qu’il vérifie que le feu ne reprenne pas.
Le lendemain le secrétaire de mairie a été retrouvé tué par balles.
Nous avons passé la nuit, avec d’autres villageois, dans la cave de Louis Estavoyer pour être protégés.
Nous avons eu la chance de ne pas être touchés par les obus.
Le matin, vers 9h, des troupes alliées ont descendu la rue. Nous pensions que c'étaient des Américains, mais c'étaient des soldats Nord-africains qui se dirigeaient vers Marseille pour récupérer du matériel ou des munitions. Ils ont dormi dans la grange et ont distribué des nourrices d’alcool anisé.
Puis sont arrivés les Américains.
Des avions mitraillaient de toutes parts. Les Allemands fuyaient et laissaient leurs morts sur les camions.
André pourrait en dire plus, car il en a vu davantage. Moi, je n'ai pas beaucoup de souvenirs clairs, peut-être parce que je n'ai pas été directement confronté à eux. C'était une période étrange, où tout semblait se passait très vite.
Récit d'André Estavoyer, 15 ans à l’époque
A cette époque, mon père, Louis Estavoyer, était maire du village.
Pendant l'occupation, les Allemands étaient cantonnés dans plusieurs endroits du village. Les officiers résidaient principalement au château, tandis que d'autres étaient logés dans l’école, à l'exception d’un appartement occupé par une maîtresse. Il y avait aussi des soldats, souvent des Autrichiens, plus âgés, dans des fermes. La cure servait de prison pour les Allemands.
Je me souviens de la libération et surtout d’évènements juste avant le 8 septembre.
Par exemple, l’envoi de 3 obus sur Miserey. Un est arrivé sur une maison rue de la Communauté, déclenchant un début de feu et les deux autres au niveau du 7 rue d’Ecole. Heureusement ceux-ci n’ont pas éclaté et les dégâts ont été limités.
Les Allemands étaient à la recherche de voitures, et mon père avait pris la précaution de cacher la sienne sous un tas de foin chez le Prince (famille Jacquet) et les roues avaient été cachées ailleurs. Un jour, un voisin est arrivé en courant pour avertir mon père qu'il avait été dénoncé. Sans perdre une seconde, mon père a saisi un marteau et un burin pour saboter la voiture, crevant les radiateurs et vidant l’essence pour la rendre inutilisable.
Ils ont cherché d'autres véhicules dans le village. Ils ont trouvé les roues cachées par le Directeur de l’école, Monsieur Chenu, sous un tas de bois dans la cour de l’école (actuellement la mairie) et ils ont pu emmener la traction de mon père. Par contre ils n’ont pas découvert les armes cachées au même endroit.
La nuit du 6 septembre a été particulièrement tendue. Les Allemands ont pris des otages dont des membres du conseil municipal, exigeant de la nourriture et emportant des poules et des coqs.
Je me souviens également de la mort du grand-père de la famille Noël. Mon père est allé récupérer le corps laissé dans le champ. A l’aide de l’abbé, ils ont procédé à son enterrement.
Les résistants ont joué un grand rôle dans la libération.
Puis, le matin du 7 septembre, à 9 heures, les cloches d’Ecole et de Pirey ont sonné, annonçant la libération. Les Américains arrivaient par la rue d’Ecole et nous avons su que nous étions libres.
Deux jours plus tard, alors que les choses se calmaient, nous avons découvert deux soldats allemands cachés près du fort de Châtillon. Ils voulaient être libérés par les Américains qui les ont pris en charge.
Les Américains sont restés dans le village jusqu’à la libération totale.
Ils ont organisé des fêtes dans le village à l’hôtel de la gare. Le vin manquait et mon père les a emmenés voir le Maire d’Arbois qui était un ami. Ils ont pu obtenir du vin malgré la tentative de refus par les communistes d’Arbois.
Des fêtes dansantes étaient organisées le samedi à l’hôtel de la gare.
Crédit Photos Alexandra Thevenot